« Ce président est nul. D’ailleurs, ce n’est pas mon président. Je n’ai même pas voté ». Sempiternel argument éculé pour tenter de se dédouaner. Mais lorsqu’un président est élu, il devient le Chef de tout l’Etat. Que vous ayez voté ou pas.

Il est l’heure de critiquer par les urnes – Copyright ONI
Au Burkina Faso, avant 2014, nombreux sont les Burkinabè qui s’étaient désintéressés de la politique. Les élections et les partis politiques étaient devenus à leurs yeux de vieux vêtements qu’ils ont pliés et rangés dans le placard de l’oubli et du désintérêt. Les hommes politiques ne convainquaient plus. Les élections n’avaient plus d’enjeu, les « Hommes intègres » étant sûrs que le « même allait gagner ».
Conséquence de tout ce ramollissement dans la conviction des Burkinabè, 1 693 385 citoyens expriment leur vote à la présidentielle du 21 novembre 2010. 1 357 315 personnes élisent le Chef de l’Etat Blaise Compaoré, sur un potentiel électoral de plus de 5 millions de Burkinabè en âge de voter. Un net recul par rapport à la présidentielle de 2005, qui avait enregistré 2 066 270 suffrages exprimés.
Ces chiffres sonnaient l’échec de la classe politique et un désaveu cinglant de la part de leurs concitoyens.
A l’avènement de l’insurrection populaire de 2014, le peuple burkinabè a pu s’exprimer librement. Exhaler ce trop-plein de ressentiment qui l’accablait depuis près de trois décennies. Il a respiré à plein poumon cet air qui sentait la liberté d’expression. Du vrai « woussoulan (encens en Bambara)» démocratique ! Sauf que cette expression s’est étalée dans la rue. Et ne s’est pas déportée dans les urnes.
Certes, il y a eu 3 118 695 votes valides à l’issue de la présidentielle du 29 novembre 2015. Le Chef de l’Etat Roch Marc Christian Kaboré a été élu par 1 668 169 Burkinabè. Il fait mieux que Blaise Compaoré en 2010. Il a obtenu les voix de 310 854 Burkinabè de plus que son prédécesseur. Sauf que c’est sur un potentiel d’environ 8 millions d’électeurs, soit environ 12% de l’ensemble des Burkinabè. Pas même la population en âge de voter dans la capitale Ouagadougou !
Le taux d’abstention en 2005 et en 2010 peut s’expliquer par le désaveu de la classe politique. Mais pourquoi, en 2015, alors que le jeu politique était un peu plus ouvert, les Burkinabè n’ont guère fait mieux qu’il y a cinq ans ?
Choisir et non subir
Les raisons sont nombreuses. D’abord, les Burkinabè ne s’attendaient pas à un départ aussi brutal de Blaise Compaoré. Ils n’ont donc pas eu le réflexe de s’inscrire sur les listes électorales. Ensuite, pensant que l’essentiel a été fait, ils n’ont pas su qu’il fallait poursuivre leur volonté de changement jusque dans les urnes. Et enfin, peut-être que de nombreux citoyens n’avaient même pas leur Carte nationale d’identité burkinabè ou leur extrait de naissance. L’espoir suscité par cette fenêtre ouverte sur la chance de réécrire l’histoire s’est donc quelque peu racorni.
Mais 2020 offre la chance à tous ceux qui n’avaient pas pu exprimer leur avis, leur opinion, leur choix et leur projet en 2015, de le faire. Il n’est pas normal que dans un pays, où le droit d’élire est permis, où la liberté de ne pas être conduit et arraisonné par le choix des autres est possible, que des citoyens restent chez eux et refusent d’aller s’inscrire sur les listes électorales.
Si un citoyen s’offre le luxe de se désintéresser de la vie politique et laisse les autres décider à sa place, il ne devrait logiquement pas se plaindre si les choix qui ont été faits lui sont déplaisants et lui causent du tort. Ce serait manquer du respect à l’esprit démocratique et faillir à son devoir civique et de citoyen.
Il faudra faire observer que les Burkinabè vivant à l’extérieur ont tapé à toutes les portes, ont crié leur envie, leur volonté de pouvoir participer à ce tournant si important dans la vie d’une nation démocratique. Ils l’ont eu. Mais pour certains, c’est à moitié, puisqu’ils doivent maintenant se battre pour avoir les documents administratifs qui leur donnent le droit d’accéder à l’isoloir pour effectuer leur choix : la Carte Nationale d’Identité Burkinabè ou le Passeport en cours de validité. Ils ne baissent cependant pas pour autant les bras et tiennent à saisir cette perche qui leur est tendue.
Il n’est donc pas normal que ceux qui sont à l’intérieur, qui ont en plus le luxe de pouvoir s’offrir la CNIB à un prix réduit, et parfois souvent à leur porte (l’Office national d’identification fait désormais dans la proximité), n’aient pas le document administratif qui leur permet de se faire signaler sur les listes électorales afin de décider de qui doit diriger leur destinée.
La date est connue. Les opérations de révision des listes électorales sont prévues pour janvier 2020. Les élections sont ouvertes. Le 1er janvier 2021, il ne devrait pas y avoir un citoyen burkinabè pour critiquer un Chef d’Etat élu sans avoir la permission que lui offre son doigt apposé sur un bulletin électoral. Alors citoyens, établissez votre CNIB, inscrivez-vous sur les listes électorales et à l’heure venue, prenez en main votre destinée en choisissant et non plus en subissant les pilotes de votre pays.
Aboubacar YABRE