Création de commissions d’enquêtes parlementaires : aller jusqu’au bout pour que cette mission soit efficace et utile.

L’Assemblée Nationale du Burkina Faso a adopté le jeudi 23 janvier 2020 deux projets de résolutions pour la création de deux commissions d’enquête parlementaires à savoir une commission d’enquête parlementaire sur le système de téléphonie mobile au Burkina Faso et une autre commission sur le système et les pratiques de la promotion immobilière au Burkina.

Il faut saluer à sa juste valeur cette initiative des parlementaires qui leur permet de sacrifier à un devoir constitutionnel à savoir le contrôle de l’action gouvernementale par le législateur. Mais il faut aussi reconnaître que la création de ces commissions d’enquêtes parlementaires suscite des interrogations sur leur nécessité et la vraie pertinence des conclusions qui ressortent des travaux et la suite qui leur est donnée.

On se rappelle que par Résolution n° 019-2016/AN du 12 avril 2016, l’Assemblée Nationale avait déjà mis en place deux Commissions d’enquêtes parlementaires (CEP) sur (1) la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières et sur (2) le foncier urbain. Ces deux commissions ont mené leurs travaux à termes. Elles ont fait plusieurs constats et formulé des recommandations. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le foncier urbain[1] par exemple a été validé en séance plénière le 13 octobre 2016. Les conclusions révèlent d’énormes irrégularités aussi bien dans la promotion immobilière que dans les opérations d’attribution de parcelles, de 1995 à 2015. Sur les quinze communes prises en compte par ladite enquête, on note plus de 105 408 parcelles frauduleusement attribuées ou illégalement occupées. Et, les parlementaires ont décidé à l’unanimité des 108 présents du retrait de ces parcelles, non sans recommander des poursuites judiciaires contre les fautifs[2]. Mais quatre ans après ce travail, quel bilan peut-on faire de la mise en oeuvre ou non des recommandations formulées? La situation est-elle meilleure actuellement en matière de gestion foncière? En l’absence d’un tel bilan, on se pose la question sur la pertinence de conduire encore des enquêtes sur l’immobilier alors que les précédents écarts n’ont pas été soldés.

Concernant les titres miniers, au terme de trois mois d’investigation, la commission d’enquête sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières était aussi parvenue à un certain nombre de constats. Le rapport général faisait noter entre autres que « la forte part de manque à gagner liée à l’emploi des expatriés (plus de 200 milliards de F CFA sur 5 ans) met à nue l’absence d’une réelle politique de formation et d’emploi des Burkinabè dans le secteur minier. Les visites terrain des députés, la récurrente plainte des populations sur la dégradation de l’environnement, l’important portefeuille de permis de recherche et d’exploitation encore valides, l’ineffectivité du fonds de réhabilitation de l’environnement, les énormes coûts humains et écologiques de l’exploitation artisanale de l’or (orpaillage) mettent également à nue l’incohérence et la faiblesse de l’Etat. »[3]

Ces constats ont amené l’Assemblée Nationale à formuler une quarantaine de recommandations et surtout à faire des propositions de lois, de résolutions et de recommandations urgentes à l’attention de la représentation nationale [4]. A ce jour, aucun bilan officiel n’est disponible sur l’exécution de ces recommandations dites urgentes formulées par la Commission d’enquête.

L’Assemblée nationale a à nouveau adopté le jeudi 06 avril 2017, au cours de sa séance plénière, deux propositions de résolution portant sur la création de deux commissions d’enquête parlementaires respectivement sur le système de santé et le système d’enseignement au Burkina Faso. « Les objectifs de cette enquête sont d’une part, de dresser un état des lieux sans complaisance aucune, aussi exhaustif que faire se peut, de notre système de santé et, d’autre part de rédiger un rapport assorti de mesures correctives et de recommandations afin de le redynamiser en vue de son optimisation » avait déclaré le Président de l’Assemblée Nationale lors de l’adoption de ces résolutions.

Tout comme les précédentes commissions d’enquête parlementaire, le travail des parlementaires sur ces deux questions avait été applaudi et plusieurs personnes espéraient une suite diligente surtout de la mise en œuvre des recommandations. Malheureusement, la panoplie de recommandations formulées semble souffrir d’un véritable bilan de leur mise en œuvre de la part de l’Assemblée Nationale qui avait mené ce travail, mais surtout semble occuper un faible intérêt pour l’exercice de redevabilité.

Un exercice de redevabilité, surtout que l’hémicycle dispose maintenant d’une Commission de l’évaluation des politiques publiques et du suivi de recommandations (CEPSUR) aurait certainement permis non seulement aux députés de jouer à fond leur mandat de contrôle de l’action gouvernementale tout en incitant l’exécutif à mettre en oeuvre les recommandations qui sont issues de ses enquêtes, d’une part, et d’autre part, à mettre elle-même en œuvre les recommandations urgentes qui relèvent de ses compétences.

Ce suivi aura surtout eu le mérite de situer les citoyens sur l’importance de son travail à l’issue des enquêtes parlementaires qui accouchent de constats et de recommandations de belle facture mais qui, malheureusement semble dormir, comme bien d’autres rapports dans l’administration publique, dans des tiroirs hermétiquement fermés.

L’Assemblée Nationale joue actuellement sa crédibilité sur la nécessité et l’efficacité de ses actions de contrôle vis-à-vis de l’exécutif et gagnerait à faire le bon choix. Il n’est jamais trop tard. Il est temps de passer à une autre étape à moins de nous convaincre que le contrôle parlementaire se limite dans la production de rapports bien écrits.

Contrôler l’action gouvernementale doit aller jusqu’au bout pour que cette mission soit efficace et utile. Il est temps de gouverner autrement.

 

Diakonia Burkina Faso